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Cahin caha, le TukTuk évite les flaques qui ressemblent à des mares, mais il ne peut échapper à tous les nombreux trous, des cratères parfois, que les fréquentes pluies diluviennes comme celle-ci creusent dans le chemin. J’entraperçois le village un peu plus loin, sous cet épisode digne de la mousson, avec ma cargaison de surcroît, faire le trajet à pied aurait été un calvaire. Il me dépose à la porte d’un hôtel, je rentre en apportant les litres d’eau qui imbibent mes vêtements, personne ne s’en offusque. Je négocie pour deux nuits, je n’ai pas de visibilité au-delà. Je négocie le prix, elle me montre l’hôtel en face si je souhaite moins cher, mais après avoir jeté un coup d’œil, pu observer qu’à 9h de nombreuses personnes s’enivraient déjà dans les couloirs de l’hôtel de bois, je préfère le premier choix. Pour un ou deux dollars de plus le cadre est beaucoup plus serein. C’est une intuition qui me fait faire ce choix, dans un lieu aussi inconnu, il n’y a rien d’autre sur quoi s’appuyer. Quel bonheur de pouvoir enfiler des vêtements secs. Quelques détails à régler, changer un peu de monnaie, seuls les pesos sont acceptés, je me fais complètement avoir sur le taux de change, mais pas le choix, il n’y a qu’un endroit où les convertir. Je reste un peu à l’abri en attendant que le ciel se calme puis je me mets en quête d’une personne pour m’aider à construire ma pirogue.

J’arpente le village, il est plus grand que je ne le pensais, j’aurais sûrement pu trouver tout le nécessaire ici plutôt qu’à Panamá Ciudad. Naturellement, je vais vers le front de mer pour demander, tous semblent surpris de ma question, personne n’a de réponse à me donner. J’aperçois l’embarcadère par lequel je suis arrivé, je vais y poser la même question : « où puis-je trouver une personne pour m’aider à construire une pirogue en bois ? » – « En bois ? No sé… ». Finalement, un cuisinier prenant une pause me donne mon premier indice : à la sortie du village, il y a la communauté indigène, là-bas, je pourrais trouver une réponse. Je continue mon errance et mon enquête, par deux fois encore l’on m’oriente dans cette direction. La journée est déjà bien avancée, je ne connais pas la distance me séparant de cette communuaté, j’irai voir demain. En arrivant à l’hôtel, j’avais dit que je travaillais dans un restaurant, plus simple à expliquer, alors Juan, le propriétaire, m’emmène dans les cuisines, c’est-à-dire dans le jardin, derrière, où une personne cuisine au feu de bois, dans la marmite en fonte une préparation de poisson servant à farcir les empanadas qui seront frits. Ce n’est pas ma première fois en Colombie, j’avais oublié que la friture était leur spécialité. Ce n’est pas non plus un restaurant, plutôt un stand dont ils ouvrent le store à la nuit tomber pour vendre boissons et empanadas.

C’est Dima qui cuisine. Il n’est pas le cuisinier attitré, mais parfois, c’est lui au fourneau. Parfois, il fait de l’huile de coco qu’il va vendre lui-même dans la rue. Je l’ai aussi vu en train de participer à l’agrandissement d’une maison. En vrai, je ne comprends pas trop quelle est son occupation, s’il en a vraiment une d’ailleurs. Il est dans sa soixantaine, vit seul dans une baraque constituée de mur d’un centimètre d’épaisseur, ça ressemble à un rajout de la maison mitoyenne, elle en dur. Il y a des encadrements de fenêtre et pour une porte, mais rien pour les fermer, c’est d’ailleurs la même chose dans ma chambre, à quoi bon, il ne fait jamais froid. Au milieu de la pièce la moustiquaire d’une tente, c’est là qu’il dort. Rien d’autre, la « cuisine » est dehors, c’est-à-dire un emplacement pour faire un feu, 3 casseroles, de la panela – une pâte issue de la canne à sucre – du sel et un peu d’huile. De toute façon impossible de stocker du frais et il vaut mieux tout fermer, car un couple de rats vit dans le tas de noix de coco au centre du jardin. Il les entretient bien, mais s’assure qu’il n’y en est pas plus. Son passé, j’en apprendrais plus au fur et à mesure des jours, mais mon espagnol reste rudimentaire et lui assez secret. Il a été pêcheur et à naviguer en pirogue aussi, un peu, les destinations restent vaguent. Il est torse nu, il fait chaud près du feu, malgré sa soixantaine, beaucoup lui envieraient son physique. Ce n’est pourtant pas nécessairement synonyme de bonne santé, la vie ici est plus rude, cela se ressent aussi sur les corps de beaucoup. Il a compris qu’il fallait me parler lentement, je lui décris mon idée, moue dubitative, mais il va m’aider. Demain matin nous partirons en quête d’un menuisier capable de mener la construction. En attendant, il est temps de boire un tinto (café) et d’échanger un peu à la lueur d’une fine ampoule.

Nous partons en direction de la communauté indigène et notre chemin nous mène chez un artisan en train de travailler une tête de jaguar en bois Oquendo. Nous nous installons dans son atelier en bord de route et la discussion commence sur la taille de la pirogue, combien de jours de construction, le déroulement du chantier et bien sûr le prix. Ma logique veut que s’il accepte, il maîtrise alors la construction, je remettrais en doute cette logique… Après un rajout l’après-midi, au moment de payer l’acompte, le prix se fixe aux alentours de 340 euros. C’est une somme conséquente ici, surtout que le bois est gratuit, mais pour la valeur du résultat, cela m’apparaît bon marché. La discussion a été longue, je ne saisissais pas tout, ils parlaient de la différence entre les communautés indigène et noire, entre les différentes utilisations de plantes qu’ils connaissent. Il me semble avoir aussi entendu des sujets plus triviaux, mais encore une fois, je ne peux vous le narrer en détail. Le deal est conclu, je construirai ma pirogue avec Medardo.